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La console du CWAR à gauche et la console principale du BCC, à droite. © L.Schmitz.
From left to right, the CWAR console and the main display of the BCC. © L.Schmitz.
Dès que la nuit tombe, la batterie fait mouvement vers Mengeringhausen, une plaine d'exercices toute proche. Il est tard et
comme ils ont trop bu la veille, les évaluateurs demandent à leur chauffeur de les reconduire à l'hôtel. Dès qu'ils ont disparu,
un ballet de véhicules s'organise pour reconduire notre personnel à la maison. Quelques volontaires resteront sur place pour
faire comme si tout le monde était présent. Le commandant de batterie prend un gros risque, mais il sait qu'avec une bonne nuit
de sommeil ses hommes travailleront beaucoup mieux demain. Et puis, en temps de guerre tout est permis, non? Seul dans le BCC,
je simule toute la nuit l'attaque d'appareils ennemis, en fait d'innocents avions de ligne...
Le lendemain matin, c'est la catastrophe. Alors qu'un brouillard épais couvre la région, les évaluateurs dépassent la colonne de
camions ramenant les équipes. Heureusement, le chauffeur du minibus a la présence d'esprit de se "perdre" dans la brume. Quand
les évaluateurs arrivent sur le site les hommes sont à leur poste, frais et dispos. Moi, je vais me coucher quelques heures.
J'ai acheté chez les militaires anglais un "Bivibag", sorte d'abri en Gore-Tex permettant de dormir n'importe-où. Pour me
protéger de la pluie tout en restant à proximité, je m'allonge sous le camion portant le BCC. L'endroit est affreusement
bruyant, je dors donc avec mes protections auditives.
Un silence inquiétant me réveille en sursaut. Au-dessus de moi, plus de camion. Il a été déplacé pendant mon sommeil et avec
le brouillard, personne ne m'a vu. Heureusement, je n'ai pas été écrasé et la batterie n'est pas bien loin. J'entends le
ronronnement d'un générateur quelque part sur ma droite.
Le BCC était plutôt exigu. © L.Schmitz.
The BCC was rather cramped. © L.Schmitz.
Le soir, les évaluateurs stupéfaits voient débarquer un taxi sur la position, tracté par une de nos chenillettes pour ne pas
s'embourber. Le chauffeur allemand livre 87 pizzas toutes chaudes et une cannette de bière par personne. Les évaluateurs, eux,
ont apporté une ration de combat froide et du Coca-Cola. Je me tourne vers l'américain de service : "Want a slice of pizza?
Help yourself, there's plenty over" ("Voulez-vous une tranche de Pizza? Servez-vous, il y en a de trop").
Le major s'installe avec moi pour avaler sa "Cappricciosa" et partager une bonne Jupiler.
"You guys are unbelievable!" ("Vous êtes incroyables, les gars!")
A l'intérieur, mon BCA copie la liste secrète des incidents que le yankee a laissée sur sa chaise. C'est la guerre, non?
L'aube nous surprend en pleine attaque chimique. Même en vidant le contenu de la cartouche filtrante, le port du masque antigaz
reste inconfortable. Essayez de parler à la radio avec ce truc sur la tête! En plus, le BCC est bondé. Ce container de trois
mètres sur deux accueille 7 personnes et leurs postes de travail : le BCO, le BCA, les deux opérateurs HPIR, l'opérateur CWAR et
le planton qui fait la liaison avec le PC. Et bien sûr l'évaluateur américain. Bon; au moins pendant l'alerte chimique, personne
ne fume…
Pas de chance : le PAR a grillé et on a dû l'évacuer. On en a reçu un autre, mais au moment de monter l'antenne on s'est aperçu
qu'on nous a livré deux réflecteurs de gauche… Un grand palabre s'engage avec le chef-réparateur. L'américain, lui, indique déjà
sur sa fiche que la batterie n'est pas opérationnelle. A la guerre comme à la guerre! Je décide de faire tourner le radar avec
seulement une demi-antenne. Les pronostics vont bon train : pour certains il va se renverser suite au déséquilibre. Pour d'autres,
il va se tordre. La majorité pense que les vibrations empêcheront une détection normale. Devant l'évaluateur bouche bée, le
radar prend ses vingt tours/minute sans bouger. Un écho à 85 km indique que ça marche plutôt bien et le combat reprend aussitôt.
L'Américain dépité corrige sa fiche en secouant la tête : "You guys are incredible!"…
Peu après, la guerre est finie. Une fois de plus, la batterie Alpha a sauvé le monde libre. Elle est créditée d'un "Excellent",
ce qui permet au bataillon d'obtenir un score "Satisfactory".
Le chat et la souris
Chaque batterie possédait quelques affûts AA triples. Ces antiques canons Hispano de 20mm à chargeurs "tambour"
étaient destinés à la défense rapprochée des sites. Lors des "taceval" la batterie Alpha simulait des canons supplémentaires à
l'aide de tubes destinés normalement à lever les filets de camouflage. Un leurre aussi bon marché qu'efficace!
© Collection M.Wyffels.
Each Hawk battery was equipped with old Hispano 20mm guns for close protection. © M.Wyffels collection.
Le printemps est la saison des petits oiseaux, mais aussi des aviateurs de tous poils. Après des mois d'activité réduite due
à la météo, il faut rattraper le temps perdu et accumuler les heures de vol. Chaque jour voit donc son cortège de F-16, F-18 et
Mirage simuler des attaques sur le site. Ce matin par exemple, les hélicos Lynx de Paderborn devaient nous attaquer. Bien sûr,
nous les avons tous abattus. Trop facile : les HPIR repèrent sans soucis la rotation des rotors. On peut leur tirer dessus avant
même qu'ils décollent!
Parfois, les Russes se réveillent. Entre Kassel et Leipzig, la frontière forme un "coin" planté en Allemagne de l'ouest. Quelquefois
la patrouille de MiG-25 lancée à Mach 2 le long du rideau de fer "coupe" le coin pendant quelques secondes. Perestroika ou pas,
l'Armée soviétique reste un adversaire formidable et elle entend bien nous le rappeler de temps en temps.
Régulièrement, le CRC (Command and Reporting Center) de l'OTAN nous envoie un "Zombie Warning". Un "Zombie" est un avion civil
soupçonné d'être bardé d'équipements d'espionnage électronique. Nous évitons alors d'accrocher l'oiseau au radar pour ne pas
dévoiler nos fréquences, même si la rumeur veut que les russes connaissent mieux le Hawk que nous!
Un collègue m'explique que
en 1987, les radars du site d'Oesdorf (batterie Charlie) ont été victimes d'un curieux brouillage provenant d'un point situé à proximité,
en RFA. Après quelques heures, l'officier de tir s'est rendu en jeep aux coordonnées suspectes. A sa grande surprise, l'endroit
était un parking de l'autoroute Dortmund-Kassel. Un gros semi-remorque muni de plaques "TIR" y stationnait depuis plusieurs
jours, ce qui avait d'ailleurs éveillé les soupçons des équipes d'entretien. Le brouillage électronique a cessé dès l'arrivée
de la Polizei et des agents de la sécurité. Le camion a été reconduit sous bonne escorte jusqu'en Allemagne de l'Est.
(1)
Il n'y a pas que les Rouges qui tentent de nous brouiller. Les avions de guerre électronique EF-111 américains arrosent parfois
nos antennes de "Music" avec un succès mitigé. Les équipements ECCM du Hawk s'avèrent très performants. Les chasseurs, eux,
lancent des bandelettes d'aluminium ("chaff") qui n'ont absolument aucun effet. Par contre, un appareil semble réellement
capable de nous rendre aveugles : le B-52. Je n'en ai jamais été témoin, mais des collègues m'ont assuré que ses effets sont
spectaculaires. Il est toujours possible de l'abattre en mode "Home on Jam", mais les autres cibles sont alors cachées.
Un soir d'été, alors que les opérateurs s'entraînent à accrocher les avions de ligne, un écho surgit au bord Nord de l'écran,
loin des lignes aériennes habituelles. Dès le second tour de radar il est clair que ce n'est pas un client normal. Les deux
spots sont très éloignés l'un de l'autre et l'ordinateur de tir désigne l'objet comme "Cat One"... Cet avion est à ce moment
le plus menaçant pour la batterie alors qu'il se trouve à plus de cent kilomètres : du jamais vu de mémoire de radariste! Le
premier High-Power l'accroche à 80 kilomètres de distance : "Alpha Skin Lock; Velocity Very High; Flight Level... ça alors!".
Sur mon indicateur, l'aiguille est bloquée tout en haut des graduations. Le "target" doit se trouver à 30.000m. Il vole
incroyablement vite et le radar est verrouillé sur son fuselage, pas sur les aubes d'un réacteur. Le "PIP" (Predicted
Interception Point) dépasse déjà la batterie : il serait désormais quasi-impossible de l'abattre. Nous regardons l'appareil
insolite traverser l'écran du nord au sud en quelques tours d'antenne. Sa vitesse est nettement supérieure à celle d'un missile
antiradiations et l'écho sur le "Velocity Scope" du High Power flotte à l'extrême droite : proche de 4.000km/h! A cette époque,
seul l'avion-espion SR-71 approche de telles performances. Nous avons beau scruter le ciel, mais aucune traînée de condensation
ne trahit le passage du mystérieux appareil dans la stratosphère... (voir > La chasse
au merle).
La zone couverte par les deux bataillons belges (43A en mauve et 62A en turquoise) était considérable. Il s'agit
ici d'une situation temps de paix avec seulement deux sites actifs. En temps de guerre, trois sites (quatre avant 1979)
étaient actifs par bataillon,
mais comme ils étaient situés dans une même zone, la superficie couverte n'était guère plus grande que celle représentée ici.
The area covered by the two Belgian Hawk battalions (43A in purple and 62A in turquoise) was considerable. This is a peacetime
situation with only two sites actives. In case of war, three sites (four before 1979) would have been active for each
battalion. As they were located in a same area, the area covered would have been nearly the same as shown here.
Depuis la Bataille d'Angleterre, les aviateurs pensent qu'il suffit de voler bas pour ne pas être détecté. Hélas pour eux, ce
n'est vrai que pour des radars primitifs, dont le faisceau doit être incliné vers le haut sous peine de noyer les échos dans un
important "Ground Clutter". Pour les radars modernes, tout ce qui bouge fait l'effet du miel sur une mouche, quelle que soit son
altitude. Pire encore, l'ordinateur de tir attribue toujours un niveau de menace supérieur à un avion volant au ras du sol.
A moins de se cacher derrière un objet impénétrable (colline, montagne, relief) voler bas ne sert qu'à vous rendre suspect. Vous
êtes en outre très vulnérable aux armes à courte portée. Un autre mythe veut que si deux avions se croisent sans cesse en
approchant d'un radar, ils ne peuvent pas être abattus. Cette tactique nommée "Cobra" et souvent employée par les A-10 est
absolument futile. Pour entrer en "Zero Doppler", un avion doit avoir une vitesse d'approche nulle par rapport au radar. Cela
ne se produit que si l'appareil reste à distance constante du radar. Dans ce cas, il est effectivement impossible d'obtenir un
"Lock". Mais ce n'est pas nécessaire car l'attaquant ne présente aucun danger, vu qu'il n'approche pas.
En outre, quand il est
en "Zero Doppler" pour un radar, il est forcément en position favorable pour les autres batteries de tir. Une défense SAM
comprend toujours au moins trois batteries. Et même s'il n'y a qu'un seul radar de poursuite, le "Cobra" ne peut tromper qu'un
opérateur novice.
Tout spécialiste passe en mode manuel et continue à suivre l'objectif malgré ses virages. En mode automatique,
le radar passerait successivement d'un appareil à l'autre. Le missile serait forcé de slalomer sans cesse, mais approcherait de
toute façon assez près. Mieux encore, les deux attaquants seraient victimes du même missile, car trop proches l'un de l'autre.
La seule tactique à ma connaissance efficace a été employée une seule fois, par des F/A-18 canadiens. Pour éviter de détecter les
voitures sur les autoroutes allemandes, les radars sont généralement réglés pour ignorer tout ce qui se déplace à moins de
160km/h. Deux pilotes canadiens ont pu s'approcher "incognito" de notre batterie en volant "tout sorti" et à basse vitesse.
Arrivés à la hauteur d'Arolsen, ils ont viré vers la batterie et simulé le tir de deux missiles HARM : pas vus, pas pris! Cette
manœuvre était intelligente, mais utopique car en temps de guerre les F-18 nez haut en rase-motte feraient une excellente
cible pour les troupes au sol. La même astuce avait permis au jeune Mathias Rust de poser son Cessna 152 sur la Place Rouge,
après 800 km de vol lent au travers des défenses soviétiques.
> Le missile Hawk
> Les batteries Hawk : réactions
notes
(1)
La compagnie est-allemande de transports internationaux routiers Deutrans était connue pour servir de couverture à des activités
d'espionnage à l'Ouest > Link.
L'incident évoqué ici impliquait probablement l'un de leurs véhicules.
Il est parfaitement vraisemblable que le semi-remorque abritat le même système ECM "Smal'ta" que celui qui équipait les Mi-8SMV et qui
avait été spécialement développé pour contrer les missiles Hawk (voir > Les Mi-8, partie 4).
Ce complexe faisait en effet appel à de très petites antennes de forme carrée (environ la taille d'un hublot de Mi-8)
qu'il aurait été facile de dissimuler derrière des panneaux diélectriques situés sur les flancs de la remorque. HM.
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