Un pont aérien sur l'Allemagne

L’Aviation de Transport Militaire (Voenno-Transportnaya Aviatsiya - VTA) des VVS, assurait, aux côtés des appareils de l'Aeroflot, la relève du contingent militaire deux fois par an en avril-mai et octobre-novembre. Pendant deux semaines au maximum, les appareils de ces deux organisations militaires et civiles (Il-62, Il-86, Tu-134, Tu-154), ramenaient en U.R.S.S. les "libérables" et amenaient en R.D.A., en Pologne, en Tchécoslovaquie et en Hongrie les appelés dans le cadre de leur service militaire. Il y avait cinq aérodromes de relève en Allemagne, soit un terrain par armée : Brand (1.GvTA), Parchim (2.GvTA), Zerbst (3.OA), Allstedt (8.GvOA) et Gross Dölln (20.GvOA).
En plus des appareils du 226.OSAP, le ZGV bénéficia dans le cadre de son retrait général, du support des appareils de la VTA. Ce commandement regroupait, avant les bouleversements de 1989-1990, l'ensemble des moyens de transport aériens stratégiques de l'aviation militaire soviétique aux rangs desquels pouvaient être inclus le cas échéant comme celui mentionné plus haut, les avions de la compagnie civile d’État soviétique, l’Aeroflot (1). Pour mémoire, c’est traditionnellement un général d’active des VVS qui dirigeait cette grande compagnie. Ce sont ses omniprésents Iliouchine Il-76 “Candid” et avions cargos géants Antonov An-22 Antei “Cock” qui formaient l'essence du gigantesque pont aérien établi entre l'Allemagne et la C.E.I. Presque toujours revêtus de leurs livrées et immatriculations civiles, ces appareils portaient parfois un armement défensif ou des lance-leurres qui ne trompaient pas sur leur véritable nature de transporteur militaire (2).

Les tourelles inoccupées des Il-76M et MD militaires étaient armées de deux canons bitubes GCh-23 aidés par un radar de tir Krypton PRS-4. Pas mal, pour un appareil prétendument de "l'Aeroflot"! © JL.Debroux.

The unoccupied tail turret of the military Il-76M and MD was armed with two double GSh-23 canons, supported by a Krypton PRS-4 gun-ranging radar. Not bad for an alleged 'Aeroflot' aircraft! © JL.Debroux.
Ils stationnaient généralement plusieurs jours sur leur aérodrome d'accueil pour quelques raisons obscures. L'une d'elles, et pas des moindres, était l'approbation des plans de vol par les autorités polonaises pour un survol de leur pays. Ces dernières firent souvent preuve de mauvaise volonté. Nous en avons été témoins directs, lorsque le départ des 20 derniers hélicoptères du 487.OVP de Werneuchen fut annulé en dernière minute et reporté au lendemain. Pour bien remettre les choses à leur place, il convient cependant de préciser que si une partie du ZGV fut bel et bien évacuée par la voie aérienne, la part de l’aviation dans ce déménagement fut loin d’être prépondérante. L’essentiel du gigantesque déménagement des forces russes d’Allemagne s’est, en effet, effectué par voies terrestres (route et chemin de fer) à travers la Pologne et par voie navale via les principaux ports est-allemands de la Baltique : Wismar, Rostock et Stralsund. Visiteurs occasionnels ou réguliers, les avions Toupolev Tu-134 “Crusty”, Tu-154 “Careless”, Iliouchine Il-18 “Coot”, Iliouchine Il-62 "Classic", Antonov An-30 “Clank”, An-72 “Coaler” ou An-124 Ruslan “Condor”, apportaient eux aussi leur concours au ravitaillement et au retrait des dernières forces russes en Allemagne. Sperenberg accueillait ainsi chaque jour un vol postal en provenance de Tchkalovskiy (Moscou). Alors qu’à l’exception notable des Su-24 “Fencer” de Welzow pas un seul des appareils mis en ligne par la 16.VA n’était équipé du système permettant leur ravitaillement en vol, l’on notait parfois la présence sur les bases aériennes russes en Allemagne d’avions ravitailleurs Iliouchine Il-78 “Midas” (version de l’Il-76 “Candid“ spécialement dévolue au ravitaillement en vol en service au sein de l'Aviation à long rayon d'action - Dalnyaya Aviatsiya). Ces appareils, “recyclés” en simple avions de transport de carburant, venaient livrer le kérosène nécessaire aux dernières bases opérationnelles et, plus amusant, au moment du départ des régiments venaient parfois emporter les réserves inutilisées.

Anouchka

Le plus petit, mais non le moindre, des avions de transport de la 16.VA était le vénérable et pétaradant Antonov An-2TD, “Colt” pour l'OTAN, Koukourouznik (avion des maïs) ou encore Anouchka (chérie) pour les Russes. En 1990 seule une poignée d'exemplaires de ce biplan à la silhouette anachronique servaient d'avions de liaisons et de servitudes pour les quartiers généraux divisionnaires de la 16.VA à Damgarten, Merseburg, Zerbst, Lärz et Grossenhain ainsi qu’auprès du Q.G. de Zossen à Sperenberg. En fin 1992, ces sympathiques “machines volantes” disparaissaient de l’inventaire du ZGV. Leur mission était reprise, là où leur présence aurait encore été nécessaire, par le détachement d’hélicoptères Mi-8 “Hip “ de l’Aviation de l’Armée de terre, comme, par exemple, auprès du Q.G. de la 125.ADIB à Lärz. Vendus sur place par les Russes avant leur départ, plusieurs de ces appareils, toujours porteurs de leurs marquages d’origine à peine agrémentés d’une immatriculation civile allemande, pouvaient ou peuvent encore aujourd’hui être admirés dans les aéro-clubs allemands comme à Reinsdorf et à Dessau (voir > Après la bataille). Une retraite vraiment dorée pour ces vétérans qui ne connaîtront jamais les affres, trop souvent infamantes pour les hommes comme pour les machines, d’un retour au pays en vaincus de la guerre froide.

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 SCHÖNEFELD VISITORS 
notes

(1) A l'instar des Etats-Unis ou il est possible, en cas de crise, de mobiliser les avions civils appartenant à la « Civil Reserve Air Fleet » (CRAF), c’est-à-dire la « Flotte Aérienne Civile de Réserve ». Les compagnies aériennes qui adhèrent à l’organisation doivent être capables de fournir avions et équipages dans un délai prédéterminé, en cas de besoin. Les compagnies membres reçoivent des indemnités financières en compensation. Un exemple d'utilisation massive d’appareils appartenant à la CRAF fut la première la Guerre du Golfe.
(2) "Il ne faut pas se fier aux apparences!" Voilà un proverbe très juste et de circonstance. La majeure partie des Il-76 militaires ainsi que la totalité de la flotte des An-22 militaires (excepté un seul avion!) sont décorés aux couleurs de l’Aeroflot. Bon nombre des An-12/24/26/72 militaires le sont également. Par ailleurs, la livrée blanche sur la moitié supérieure du fuselage, séparée par des lignes bleues de la partie inférieure grise que portent certains appareils ornés d'étoiles rouges et de codes tactiques, n'est autre que la livrée standard de type "Aeroflot". Toutefois, le seul lien entre ces avions et la compagnie civile d’Etat russe réside dans les pots de couleur utilisés... Il en allait de même pour les avions de transport de passagers aux couleurs de l’Aeroflot vus sur les aérodromes militaires de l’ex-R.D.A., comme le Tu-154 quotidien qui ralliait Sperenberg au départ de sa base d’attache de Tchkalovskiy. Ces appareils étaient et sont toujours intégrés au sein de régiments de transport militaire et stationnés sur des aérodromes militaires. Tordons au passage le cou au mythe qui voudrait que la séparation entre l'armée et les avions de la compagnie civile Aeroflot était floue. Il s'agit d'un pur fantasme primaire né pendant la période paranoïaque de la guerre froide. Parmi l’ensemble des explications généralement avancées pour expliquer ce “travestissement” d’avions de transport militaires en avions de transport civils figure en bonne place une plus grande facilité pour l’obtention des autorisations nécessaires au survol ou au transit par des territoires ou des espaces aériens étrangers. Mais ce type de décoration étant majoritaire, il est envisageable que cela simplifiait également la mise en peinture sur les chaînes de production. En fin de compte, cette livrée civile sur des appareils purement militaires constitue un excellent camouflage en temps de paix!


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