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Un début explosif

Hawk Le véhicule de chargement/déchargement des lanceurs Hawk. © U.S.Army.

Loading of a Hawk launcher. © U.S.Army.
Septembre 1988. J'ai vingt ans et je viens de réussir la dure formation de BCO (Battery Control Officer) à l'école d'artillerie antiaérienne de Lombardsijde. Après des heures d'un épuisant trajet en train et en bus, je débarque à Essentho (Nordrhein-Westfalen), repère du 62ème bataillon de missiles Hawk. L'endroit est franchement lugubre, la caserne est plantée sur un plateau humide et battu par le vent. Par dessus le marché, j'apprends que je suis à la mauvaise adresse. On m'a affecté à la batterie Alpha, qui occupe son propre quartier dans la ville de Korbach, encore plus à l'Est. Je fais les trente derniers kilomètres dans la benne du camion de ravitaillement, frigorifié dans mon bel uniforme de sortie. La réception à Korbach est nettement meilleure. Mes trois collègues officiers sont des gars extraordinaires qui m'accueillent chaleureusement. Je dispose d'une chambre confortable et passe la soirée à découvrir la charmante bourgade en compagnie de mon équipe de tir. Mon BCA (Battery Control Assistant) est non seulement le sous-officier le plus expérimenté de l'unité, mais aussi un vétéran qui connait comme sa poche toutes les gargotes du coin...

Hawk MIM-23B "Improved Hawk". © Collection M.Wyffels. Après cette nuit mémorable, les premières semaines sont consacrées à compléter ma formation. Je m'aperçois avec effroi que j'ai encore beaucoup à apprendre. Ma chambre est jonchée de manuels techniques et je passe mes soirées dans un local blindé à apprendre les procédures secrètes de 2.ATAF (2nd Allied Tactical Air Force). Un mois plus tard, je suis "lâché" pour ma première permanence sur le site de missiles de Flechtdorf. La journée vient à peine de commencer qu'un sous-officier me demande de diriger un déchargement de missiles en tant qu'officier de sécurité (OS). Je n'ai aucune idée de ce qu'il faut faire. Heureusement, le rôle de l'OS se borne normalement à être présent. Mes hommes sont des experts et ça se passe toujours très bien, il faut juste un officier "car c'est le règlement". Le chargement/déchargement se fait à l'aide d'une chenillette munie de trois bras permettant de déplacer les missiles des palettes de transport vers les lanceurs et vice-versa. Je regarde attentivement comment l'étrange engin s'accroche au lanceur. Je fais de mon mieux pour ne pas gêner et surtout pour ne pas me faire écraser... Le chauffeur étend les bras articulés par-dessus les missiles. Deux soldats déverrouillent les missiles du lanceur sous l'œil averti d'un sous-officier technicien. L'opérateur actionne alors un joystick pour reculer les bras et déplacer les missiles. Soudain, le chauffeur pousse un cri, saute du véhicule et s'enfuit à toutes jambes, précédé de peu par le reste de l'équipe. Avec un bel ensemble, ils plongent dans une tranchée vingt mètre plus loin. Je reste planté seul à côté des missiles.

HawkC'est alors que je remarque un curieux sifflement qui semble provenir d'une des armes. N'écoutant que mon courage, je rejoins précipitamment mes hommes au fond du trou... Après quelques secondes, il semble bien que rien n'a explosé et que nous sommes toujours vivants. Le sous-officier m'explique que le missile numéro un s'est décroché et est brutalement retombé sur le lanceur. Moi, je n'avais rien remarqué... Le problème c'est que le système de mise à feu est conçu pour s'activer lors de l'accélération du départ... ou d'un choc similaire. La question est maintenant de savoir si le choc a été assez violent pour armer le missile. Si c'est le cas, il peut exploser à tout moment, me dit-on. Pour le savoir, il n'y a qu'une solution. Une personne doit aller seule connecter un boîtier de contrôle sur la prise de lancement (appelée un "ombilical"). Il s'agit du connecteur auquel on ne touche qu'en temps de guerre et qui est normalement couvert d'une "Shorting Plug" destinée à éviter un lancement intempestif. Selon la procédure technique, vous l'aurez deviné, cette personne est l'officier de sécurité (moi, donc)... Après avoir réuni toute l'équipe de l'autre côté de la butte de tir (on n'est jamais trop prudent), je m'approche du lanceur en déroulant derrière moi le câble d'un téléphone de campagne. En effet, même l'émission d'un walkie-talkie pourrait causer une explosion, paraît-il. Suivant les indications du responsable technique installé en sécurité dans l'abri blindé, je retire le couvercle sur lequel il est écrit en rouge "Danger - Do NOT Remove". Ensuite, je branche une boîte-diagnostic munie de quelques loupiotes et d'un bouton sous lequel un américain a jugé utile d'imprimer la mention "Press Here". Une seconde plus tard, une lampe verte s'allume, c'est probablement bon signe. Le chef réparateur arrive alors avec tout un attirail pour "vérifier les tensions". Bientôt, il confirme l'absence de danger et nous examinons les dégâts de plus près. En fait, le sifflement que j'ai entendu provenait du gaz inerte dont les missiles sont remplis. Celui-ci s'est échappé d'une longue fissure dans le radome. Le missile est foutu, on me dit qu'il coûte des centaines de milliers de dollars. Pas mal pour un premier jour de travail! La commission d'enquête arrivée sur les lieux découvre rapidement la cause de l'accident. Le "Rotating Sector" (support rotatif) sur lequel le missile reposait a basculé, causant le décrochement du missile. Normalement, cette pièce ne bouge que lors du tir mais son verrou était défectueux. Suite à cette découverte, les lanceurs de tous les sites Hawk sont contrôlés. Seules quelques pièces s'avèrent défectueuses. Il a fallu que ça tombe sur moi...

Operational Readiness Evaluation

Hawk Les radars devaient tourner de concert avec une grande précision. Ici, un PAR et un ROR. © L.Schmitz.

The radars revolutions had to be synchronized together with a great precision. Here a PAR (left) and a ROR. © L.Schmitz.
La hantise de tout BCO, c'est l'ORE : "Operational Readiness Evaluation". Une équipe d'évaluateurs (nationaux ou de l'OTAN) se présente à la grille du site et commande "Go to Blazing Skies". Après la mise en alerte, qui ne peut pas durer plus de vingt minutes, les évaluateurs contrôlent si tout le matériel fonctionne selon les critères établis par l'OTAN. L'ORE est sanctionnée d'une cote "Excellent", "Satisfactory", "Unsatisfactory" ou "Marginal". Gare au BCO qui obtient une des deux dernières notes! C'est exactement ce qui m'est arrivé lors de ma première ORE... Lors de ma montée sur site j'avais fait aligner les radars, qui doivent tous tourner de concert. Cette procédure doit être précise à 10 "millième" près, soit moins d'un degré d'angle. Or, l'examinateur avait mesuré un décalage de 25 millièmes sur la console du CWAR. Cela n'aurait pas empêché la batterie d'abattre les avions ennemis, mais bon, c'est le règlement. Le problème, c'est que j'étais certain de ne pas avoir fait de faute : mon alignement était pile-poile juste! C'est alors que l'évaluateur me demande avec un sourire : « Est-ce que la porte était ouverte ce matin? » Je le regarde d'un air ahuri. Quel rapport avec l'alignement??? L'officier débranche alors l'énorme climatiseur accroché à l'extérieur du BCC (Battery Control Center) et procède à un nouveau contrôle. Cette fois, il n'y a plus le moindre écart! La grosse boîte sert à refroidir l'électronique et tourne en permanence, sauf quand la porte est ouverte... Il m'explique que lors de l'alerte, l'alimentation électrique de la batterie bascule du courant commercial à celui beaucoup moins stable des "génératrices" au diesel. Le climatiseur fait alors chuter la tension suffisamment pour modifier la calibration de l'électronique. Ce phénomène ne se produit pas à l'école d'artillerie dont le matériel n'est jamais alimenté par des génératrices. Lors de la procédure d'alignement, il faut donc non seulement utiliser le courant des génératrices, mais aussi brancher le climatiseur, et penser à fermer la porte... Quelques années plus tard, c'était mon tour de recaler un "petit bleu" ayant commis la même erreur...

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