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USMLM USMLM Nous avons déjà traité sur ce site le sujet des vols de renseignement britanniques et français au-dessus de la Zone de Contrôle de Berlin à l'aide de petits avions de liaison monomoteurs. Vous êtes par conséquent maintenant familiarisés avec le contexte, la BCZ et la raison d'être de ces missions étonnantes. Sinon, je vous invite à lire ou à relire ces articles avant de poursuivre : "Sécurité des vols non garantie" en quatre pages et "Les "Reco Air" de la MMFL" en deux pages. La lecture de la seconde partie de la page "Border Patrol" peut aussi vous éclairer. Bien entendu, les Américains n'étaient pas en reste pour ce genre de mission. Mais si le mode de fonctionnement des opérations françaises et britanniques était globalement similaire, la structure supportant la réalisation des vols de renseignement américains ainsi que leur finalité étaient par contre très différents. Voici en exclusivité un résumé de l'Opération Larkspur (Delphinium ou pied d'alouette).

UV-20A Beaver Les observateurs aériens français et anglais appartenaient exclusivement à leurs Missions militaires de liaison respectives, poursuivant ainsi par voie aérienne leur surveillance terrestre. Ces vols permettaient également de mieux préparer les missions dites "locales" (1) qui étaient partagées à tour de rôle entre les trois Missions alliées. L'Opération Larkspur n'a pas toujours obéi aux mêmes critères de fonctionnement et pour cause. Lorsque cette mission fut mise sur pied (sans doute en 1967), elle n'avait pas pour vocation le soutien de la Mission militaire de liaison américaine (USMLM). Cette opération était en effet menée sous les auspices du U.S. Command Berlin (USCOB) plus connu sous le vocable de Berlin Brigade. Ainsi, le personnel de la USMLM n'était à priori pas partie prenante dans ces opérations. Il semblerait que les premiers avions utilisés au-dessus de la BCZ aient été des DHC L-20A Beaver (désignés U-6A après 1962). Des Cessna L-19A Bird Dog (désignés O-1A après 1962) étaient également affectés à Berlin, mais nous ignorons si ces derniers ont été utilisés lors de vols de reconnaissance au-dessus de Berlin-Est. Ces avions étaient mis en oeuvre par le Army Aviation Detachment Berlin Brigade mieux connu en tant que Berlin Aviation Detachment, stationné comme il se doit sur l'aérodrome berlinois de Tempelhof.

Beaver Bear USCOB gérait le programme Larkspur et fournissait les avions et le personnel mais, en 1974, le Colonel Peter Thorsen, récemment promu commandant de la USMLM, réussi à convaincre ses interlocuteurs que des officiers de la Mission militaire de liaison devaient participer en tant qu'observateurs au programme. Cette coopération devait augmenter l'efficacité de la collecte du renseignement et bénéficier à toutes les parties impliquées. Le labo photo de la USMLM pouvait développer les films du jour au lendemain, tandis qu'il fallait des semaines à USCOB qui, de plus, retardait la production des rapports. Le Capitaine Nicholas Troyan se souvient :
« Lorsque la USMLM débuta sa participation dans Larkspur, la rumeur voulait que la Direction du personnel de l'US Army n'autorisait que les officiers ayant un grade allant du Lieutenant au Capitaine (company grade officers), à exercer des fonctions en vol (et ainsi de toucher la prime de vol). Tout cela parce que les pilotes, de Major à Colonel (field grade officers), ne pouvaient être assignés à des fonctions en vol autres que pilote, qu'avec l'approbation du Département de la défence (2). Aussi, les deux premiers officiers qui furent affectés à des tâches aériennes furent le Capitaine Orr Y. Potebnya (USAF) et le Capitaine Nicholas Troyan (US Army). J'étais ravi à l'idée de devenir un observateur pour Larkspur. Comme Orr était un ami personnel et un officier de l'USAF, je sais qu'il était aussi très heureux de cette nouvelle affectation. En ce qui me concerne, j'étais excité car j'avais suivi des leçons de pilotage sur un Aeronca puis un Citabria - un monomoteur de voltige de base - et j'avais accumulé environ vingt heures de vol avec un instructeur plus soixante heures en solo. » En 1975-76, il y avait peu de coordination avec les missions aériennes exécutées par les Britanniques et les Français - cela était sans doute une conséquence de la gestion du programme Larkspur par l'USCOB plutôt que par la USMLM. Si un de leurs appareils était vu au-dessus d'une zone ou d'un objectif, il n'était pas opportun d'envahir leur espace aérien pour des raisons de sécurité et aussi afin de ne pas titiller inutilement les militaires Soviétiques ou Est-Allemands. Chacun se concertait cependant lorsque un objectif présentait un intérêt particuler, la coopération entre les Missions militaires de liaison se poursuivant jusque dans les airs.

USMLM USMLM Unit History, 1978 - extrait

ACTIVITES DE RENSEIGNEMENT COMMUNES :
1. Général. a. La Division Commune, renforcée par trois militaires du rang provenant de l'ODCSI, USCOB, est responsable pour la participation de la USMLM dans le Projet LARKSPUR, un programme commun d'information entre la USMLM et l'ODCSI, USCOB, couvrant la Zone de Contrôle de Berlin qui consiste en un cercle ayant un rayon de 20 miles centré sur Berlin. Les forces du Pacte de Varsovie casernées dans la zone d'opérations de LARKSPUR comprennent : une Division de chars soviétique (TD - Tank Division), une Division d'infanterie motorisée (MRD - Motorized Rifle Division), un Régiment d'infanterie motorisée (MRR - Motorized Rifle Regiment) et un régiment de chars (TR - Tank Regiment) appartenant à une seconde MRD, deux brigades de la 34ème Division d'artillerie (GAD - Gun/Arty Div) et deux MRR de le 1ère MRD est-allemande, ainsi que des unités ECM, de transmission et de contrôle des frontières (BCC - Border Command Central), deux aérodromes militaires et le terrain civil est-allemand de SCHONEFELD. La couverture de la BCZ par LARKSPUR est programmée chaque troisième jour quand le temps le permet.
b. LARKSPUR jouit d'un avantage sur les autres programmes de renseignement de la USMLM : le libre accès aux installations intéressantes et par conséquent l'opportunité de surveiller de manière continue ces installations. Les désavantages comprennent une plus grande dépendance aux conditions météo favorables, l'impossibilité de rester pendant de longues périodes près d'un objectif et l'impossiblité de ramener des documents ou du matériel "à la SANDDUNE" [programme de collecte de matériel et de documents dans les dépotoirs].

Beaver Zil-131 Nicholas Troyan poursuit : « Je volais avec le Sergent de première classe (SFC) Dennis St. John de la Berlin Brigade. C'était un expert dans son domaine, ayant de nombreuses missions Larkspur à son actif. Le pilote était un Adjudant-chef (CWO) de l'Armée dont je ne me souviens pas du nom. Mais je me rappelle que le briefing que me donna le SFC St. John sur le programme, précisait que l'avion pouvait voler dans un cercle de 64 km autour de Berlin et que nous devions maintenir l'altitude de 1000 pieds (300 mètres) au-dessus du niveau du sol. Etant assis à l'avant [du Beaver] sur le siège du co-pilote, je notai qu'il était très difficile d'observer et encore plus d'obtenir une bonne photo en regardant à travers la fenêtre triangulaire de la porte. Le SFC St. John était assis à l'arrière et disposait d'une fenêtre plus grande. Cependant, celle-ci limitait également ses capacités à prendre des photographies très claires. Aussi, avec l'exubérance de ma "jeunesse," je demandai au pilote l'enlèvement de la porte droite de l'avion. Après avoir découvert que les Soviétiques n'utilisaient pas de radar altimétrique contre nous, je demandai au pilote de voler plus bas que le plancher des 300 mètres. Cela et la porte démontée permettait à la personne assise sur le siège du co-pilote ainsi qu'à l'occupant en place arrière, d'obtenir de bien meilleurs clichés. Au cours d'un vol, alors que nous approchions des casernements situés à Dallgow-Döbertiz, nous avons aperçu aligné sur la rampe de nettoyage tout un régiment blindé qui venait apparemment de rentrer de manoeuvre. Nous avons également aperçu ce qui semblait être une nouvelle version du transporteur de troupes blindé BMP. Aussi, je demandai au pilote de me laisser prendre le manche. »

Sov PSNR-1 « J'exécutai un virage brutal vers la droite, rendant ensuite le contrôle au pilote, et commençai à photographier les équipements sur la rampe de nettoyage. J'entendis alors dans l'intercom le SFC St. John qui signalais que, pendant qu'il changeait un objectif, ce dernier avait glissé de ses mains durant le virage brutal et il pensait qu'il était tombé sur les "Sovs"... Il affirma également que nous devions rentrer immédiatement afin de signaler cet incident au QG. Je vis que la plupart des Soviétiques aux alentours de l'apron de nettoyage nous pointaient, certains avec les Kalachnikov. Cependant, cela n'avait rien d'inhabituel en soi, car souvent, lorsque nous survolions leurs installations, les Soviétiques et les Allemands de l'Est nous pointaient, agitaient parfois le poing ou nous mettaient en joue. Mais je n'ai jamais vu un officier sortir son pistolet et le pointer sur nous lors de nos survols. Cependant, j'ai été confronté à des officiers soviétiques qui dégainaient et pointaient leur pistolets sur nous durant quelques reconnaissances terrestres assez "chaudes." C'est un détail important, car, pour autant que je sache, les officiers soviétiques avaient des pistolets chargés. Quitter la zone avec un peu de retard semble avoir été la bonne décision, car, quelques minutes après avoir perdu l'objectif, un avion britannique et [ou ?] un appareil français ont également survolé la zone. J'ai entendu dire que l'ambassadeur soviétique avait protesté contre le "bombardement" auprès d'Henry Kissinger; cependant, étant donné la présence d'autres appareils alliés sur place, personne ne pouvait vérifier qui avait largué quoi sur le rampe de nettoyage. Quand nous sommes retournés au siège de la USMLM et que j'ai fait rapport au Colonel Thorsen, sa première réaction fut : "Troyan, encore vous ! J'espère que vos bagages sont prêts" ou quelque chose comme cela. Mais le SFC St. John a sauvé ma peau en déclarant que c'est lui qui avait lâché l'objectif. Le Colonel Thorsen fut très tolérant avec le SFC St. John, affirmant qu'après avoir mené si longtemps ce programme, le risque qu'un évènement imprévu se produise était normal. Il me dit d'accompagner le SFC St. John à la Berlin Brigade et de suggérer au Colonel Baker, le Chef adjoint de l'état-major du renseignement de la Brigade de Berlin, de ne pas être trop dur avec le Sergent-chef. Il me donna également l'ordre d'établir une procédure standard (Standard Operating Procedure - SOP) pour que tout changement d'objectif se déroule à l'intérieur du sac de vol, lequel devait être attaché au siège de l'avion. »

UAZ-452 NBC Le Major Thomas Spencer témoigne : « En 1975, un poste d'observateur aérien devint disponible dans le programme Larkspur. Peu après, je me rendis chez le Colonel Peter Thorsen, afin de me porter volontaire pour prolonger mon affectation à la USMLM encore une année si je pouvais devenir l'officier USMLM pour ce programme, cessant ainsi mes activités de renseignement terrestre. J'avais appris à piloter auparavant un vieil Aeronca et j'aimais voler. Je savais que les deux années précédentes passées à sillonner la RDA m'avaient bien préparé pour identifier le matériel, lire les cartes etc. Deux autres officiers de la Mission militaire de liaison américaine qui avaient déjà participé à temps partiel à l'opération Larkspur, avaient prouvé que des officiers expérimentés de la USMLM amélioraient le programme grâce à leurs compétences en matière d'identification et leur connaissance des lieux. Le Colonel Thorsen approuva ma demande, et c'est ainsi que je devins le premier officier de la USMLM affecté à plein temps au programme Larkspur. Je volais avec un sous-officier de la Berlin Brigade, le Sergent-chef St. John. Nous étudions tous les deux les demandes de renseignements spécifiques que nous recevions des différentes agences gouvernementales afin de nous guider dans notre quête d'informations, mais nous ne manquions jamais de traiter les objectifs d'opportunité. Nous portions des combinaisons de vol ignifuges en Nomex sans badges afin de masquer superficiellement nos identités. Nous avions néanmoins nos cartes d'identité militaires au cas où nous aurions été obligés d'atterrir en RDA. En réalité, nous étions certains que les Soviétiques et les Allemands de l'Est savaient pertinemment ce que nous faisions. Il était assez ridicule de penser que les seules personnes qui ne savaient vraiment pas que le programme Larkspur existait étaient des Américains. Mais c'étaient les règles du jeu pendant la guerre froide. Nous nous sentions comme Pogo [un personnage de bande dessinée] qui disait : "Nous avons rencontré l'ennemi, et c'est nous." »

SON-9 PMZ-4 « Notre avion était toujours parqué à l'extérieur du hangar, aussi nous transportions notre équipement photographique caché à l'intérieur d'un sac pour casque de vol et nous portions habituellement le casque sur la tête pendant le trajet entre le hangar et l'avion. En tant qu'amoureux de la photographie, travailler avec du matériel que je n'aurais pas pu me permettre de posséder était un privilège. Nous utilisions des boîtiers Nikon-F avec ou sans moteur, des objectifs de 50, 135, 500 et 1000mm, et nous avions accès à un stock illimité de films noir et blanc Kodak Tri-X et de films couleur Ektachrome. Le laboratoire photo de la USMLM pouvait traiter les films en quelques heures en cas d'urgence. La large gamme de matériel photo entre les mains de la USMLM, le laboratoire photo rapide et les officiers expérimentés de la Mission militaire qui étaient affûtés dans l'identification des équipements adverses sont autant de facteurs décisifs qui ont sans doute amené USCOB à accepter cette collaboration avec la USMLM. Mais USCOB restait le maître d'oeuvre du programme Larkspur et restait crédité en premier pour les rapports exceptionnels. Les résultats globaux obtenus étaient bien meilleurs, plus sensibles et nous produisîmes un très grand nombre de rapports (Intelligence Information Reports - IIR) qui contribuèrent grandement à satisfaire les besoins de la communauté américaine du renseignement. A bord du Beaver, nous enlevions les fenêtres trapézoidales des portes arrières [plutôt que d'enlever les portes] pour plusieurs raisons. Il s'agissait de minimiser le risque de perdre tout équipement qui aurait pu passer par-dessus bord alors que nous virions sous un angle de 45° ou plus, afin de tourner autour d'un objectif pour obtenir les meilleures photos. Le Sergent St. John et moi étions assis à l'arrière, chacun cherchant de son côté les objectifs désignés par une myriade d'agences de renseignement, ainsi que les objectifs d'opportunité. En général, les Soviétiques et les Allemands ne nous prêtaient que peu d'attention. Cependant, lorsque nous étions témoins de signes d'hostilité, nous prenions cela comme une indication de la présence d'un nouvel équipement ou quelque chose d'autre qui sortait de l'ordinaire. Ainsi, notre intérêt était doublé. En de telles occasions, si nous volions avec un pilote aventureux, nous lui demandions de tourner sur l'objectif. L'aérodynamique étant ce qu'elle est, cette manoeuvre entraînait une descente en spirale qui nous faisait perdre de l'altitude et nous descendions "accidentellement" sous le plafond minimal des 300 mètres sous lequel nous n'étions pas supposés voler. »

notes

(1) Le "local" consistait à surveiller 24 heures sur 24 les abords du mur de Berlin ainsi que tous les axes d'accès menant à Berlin afin de détecter les
     indices d'alerte et éventuellement orienter les missions terrestres du lendemain en fonction d'évènements inhabituels ou des matériels observés.
(2) Une fois l'autorisation d'Heidelberg reçue, les "field grade officers" purent eux aussi participer au programme.


Opération Larkspur  > Part 2

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